L’Élève-enseignant

Une pratique pédagogique qui permet à l’apprenant de résoudre son énigme personnelle par l’enseignement de ses erreurs.

Ignorance

Comment enseigner ce qu’on ignore ?

Tout commence avec cette incohérence entre les possibles de l’apprenant et ceux de l’éducateur. Trop souvent, le premier attend d’être mobilisé alors que le second attend son immobilité pour enseigner. Ce paradoxe s’amplifie à l’infini lorsque l’un se croit ignorant d’un savoir que l’autre détient en exclusivité, lorsque l’un s’acharne à vouloir expliquer à l’autre ce qu’il suppose être ignoré. L’écart entre eux se creuse alors qu’en réalité l‘explication n’est pas véritablement nécessaire à une incapacité à comprendre (Jaques Rancière). Au contraire, on peut enseigner ce qu’on ignore (Joseph Jacotot), à la force d’une pédagogie construite. Il suffit sans doute de croire en son sujet ou de l’encourager à maximiser sa Stratégie d’Apprentissage et de mémorisation.

J’ai voulu faire de ces savants, des chercheurs.

 

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Rétention

Comment peut-on mémoriser au mieux une info ?

Le niveau de rétention de l’information est lié à ce que nous activons lors de sa préhension. Lorsque nous suivons un cours magistral sans prise de note, nous pouvons espérer retenir 5% de l’info. Quand nous devenons actifs lors de l’acquisition de ce nouveau savoir on augmente de manière significative sa rétention. En enseignant aux autres, nous maximisons ainsi ce processus. Il m’a donc semblé intéressant d’intervertir les places de l’élève en difficulté d’apprendre avec celle de l’enseignant. Ce qui, d’après certaines recherches, permettrait à l’apprenant de garder en mémoire jusqu’à 90% de l’apprentissage.

En travaillant conjointement sur la Stratégie d’Apprentissage et le Moyen Didactique, ce procédé active une prise de conscience particulière qui déclenche ensuite de nouvelles pratiques en classe, sur le terrain même de l’expérience.

 

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Blessures

Y a-t-il d’autres objectifs pédagogiques ?

L’élève en difficulté, victime d’une blessure qui a du mal à cicatriser, se retrouve trop souvent prisonnier entre sa lésion et son besoin d’apprendre. Celle-ci le distrait, l’écarte de son chemin d’apprentissage. À l’École Autrement, j’ai décidé d’expérimenter ce changement de rôle entre élève et enseignant en demandant à l’apprenant d’enseigner à d’autres le comment se relever de sa chute. Il a ainsi l’occasion d’éclairer délibérément pour d’autres le chemin sur lequel il a lui-même trébuché. Une opportunité lui est ainsi donnée de gérer ses erreurs avec ses pairs au cœur même de son témoignage.

C’est à cet endroit que je peux déployer le prisme pédagogique et observer la manière dont le sujet va, lui-même, se libérer de sa blessure. Ce procédé me permet de collecter plus d’informations sur l’expérience des différents acteurs

 

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Chemin

Quel chemin empruntes-tu pour amener l’élève à enseigner devant une classe en difficulté ?

La procédure est souvent la même, même si elle est adaptée en fonction du sujet :

  • Contrat : le sujet signe un contrat dans lequel il est stipulé qu’il devra animer certaines activités apprises avec la posture de l’élève-enseignant : la difficulté d’attention, la perturbation du cours, ses actes violents, sa timidité, son manque de confiance en lui, par exemple.
  • Blessure : J’identifie avec le sujet la blessure réelle qui se cache derrière les symptômes scolaires apparents : la peur de parler en public, la colère face à une injustice ou plus profondément encore, une blessure du passé. Il s’agit de la première balise d’appel.
  • Animation : Lors de différentes animations, je repère celle durant laquelle le sujet est particulièrement actif, je la sélectionne et lui donne l’occasion de la mener avec moi en zone sécurisée, avec peu de prise de risques pour lui. Il travaille avec moi sa confiance en l’outil. Cette étape s’apparente au choix d’un jeu pédagogique.
  • Groupe : j’identifie une problématique classe au sein de l’établissement dont un élément s’apparente à la lésion du sujet. Le lien entre ces problématiques, la blessure identique, est le point d’accroche non dévoilé au sujet afin de ne pas détourner son attention première de l’activité qu’il doit mener.
  • Besoin : Je répercute le besoin exprimé par les enseignants de cette classe au niveau du sujet en exprimant mon propre besoin d’aide pour gérer cette problématique : peux-tu venir avec moi dans cette classe afin de m’aider dans une animation sur telle difficulté ? Je fais ainsi appel à son altruisme inné (Pablo Servigne), à son désir d’aider plus fort que son désir de s’aider lui-même.
  • Assemblage : Avec le sujet, j’adapte l’animation expérimentée par lui afin de correspondre à la problématique rencontrée dans la classe.
  • Conscience : En cours d’animation, je pointe certains éléments que le sujet met en place, volontairement ou non, pour aider les élèves du groupe à résoudre l’énigme posée par l’animation. Ceci est exprimé haut et fort afin que chacun perçoive bien les enjeux réels : l’élève-enseignant, tout en animant, résous sa propre énigme et perçoit sa capacité à soigner sa blessure.
  • Débriefing : Lors du débriefing qui suit, j’amène les élèves du groupe à exprimer avec leurs mots ce qu’ils ont vécu. L’élève-enseignant se voit confirmer par ses pairs ce qui se joue en lui : l’évidence d’une prise de pouvoir sur la gestion de ses propres erreurs. C’est à cet endroit que l’élève-enseignant comprend l’importance d’apprendre pour progresser vers une autonomie bienveillante. En travaillant la blessure identique, tous, l’élève-enseignant et les élèves du groupe progressent sur leurs chemins d’autonomie.

 

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Favorables

Et si les conditions n’étaient pas favorables ?

Il m’arrive de ne pas pouvoir faire de lien direct entre la problématique classe et la blessure du sujet. Alors je choisis de multiplier les objectifs pédagogiques par le truchement d’une différenciation spécifique. Pendant que l’élève-enseignant gère la problématique classe, certains élèves de la classe vont permettre au sujet d’œuvrer sur sa propre blessure : mener une animation sur le conflit tout en s’entrainant à parler en public, par exemple.

Il m’arrive également de ne pas avoir assez d’animations pour le nombre de sujets inscrits à l’École Autrement. Alors je prévois une animation à plusieurs niveaux afin de la faire mener par plusieurs sujets : L’animation du Nautilus, entraine trois groupes au sein d’une classe à voyager vers l’idée de donner sans attendre. J’y emmène trois élèves de l’École Autrement à chaque fois.

À savoir également que l’élève-enseignant, conscient de faire partie d’une expérience (Elton Mayo) dont les fruits sont utiles à nos recherches, sera particulièrement attentif à la réussite de celle-ci. Il arrive en avance sur l’horaire, se présente spontanément à la porte du local pour préparer sa leçon et aménage lui-même son espace de travail, me pose des questions très précises et prend soin de sa prépa de cours.

Quand à la difficulté rencontrée dans le groupe, plus elle est élevée, plus le sujet se sent compétent et prompt à intervenir. Je crois que ceci est lié à l’écart ressenti par le sujet entre sa propre blessure et l’importance de l’énigme du groupe.

L’élève-enseignant est une clef qui ouvre de nombreuses portes. C’est sans doute aujourd’hui, l’outil le plus bénéfique de toute ma carrière. 

J-Luc Carels

 

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